France Assureurs a publié le 30 mars 2023 son rapport sur l’année 2022. L’année a été marquée par la montée des risques amplifiant les attentes des français en matière de protection. La revue Risques n°133 (mars2023) donne la parole à Florence Lustman, présidente de France Assureurs. Idées clés et extraits.


La montée des risques géopolitique, économique et climatique a amplifié les attentes des Français en matière de protection.
La crise énergétique engendrée par la relance à la suite de la crise sanitaire a été amplifiée en 2022 par le conflit russo-ukrainien et le contexte global de tension : les prix du pétrole et du gaz ont augmenté respectivement de 39% et 78% en moyenne sur l’année 2022 par rapport à 2021. En ciblant l’Ukraine, grenier à blé de l’Europe, le conflit a généré une hausse des prix agricoles de 21% en 2022.
La température moyenne record en France et des intempéries exceptionnelles ont généré une sinistralité inédite depuis plus de 20 ans.

Risques : Quel regard les assureurs portent-ils sur les risques auxquels la société française est aujourd’hui exposée ?
Florence Lustman : Nous constatons une augmentation du niveau général des risques, du fait de leur diversification et de leur intensification. En tant qu’assureurs notre métier est de gérer les risques, c’est-à-dire les cartographier, les prévoir pour les prévenir, et in fine les indemniser quand ils surviennent. Nous réalisons chaque année, avec des dirigeants du secteur de l’assurance et des spécialistes des risques, un exercice de cartographie pour obtenir une vision prospective des risques à un horizon 5 ans. Parmi l’ensemble des risques étudiés, nous retrouvons cette année en tête du classement les cyberattaques, le dérèglement climatique et l’environnement économique dégradé. Viennent ensuite en quatrième et cinquième positions le risque de pénurie de matières premières dont l’énergie et le risque politique mondial. Cet exercice est clé pour nous parce que notre ambition est d’être aux avant-postes de toutes les évolutions qui auront un retentissement sur nos sociétés, et donc sur notre activité.

Risques : Pouvez-vous dire un mot sur les défis mis en avant par la cartographie des risques de France Assureurs ?
Florence Lustman : Tout d’abord le risque cyber qui occupe la première place de notre cartographie depuis six ans. C’est un risque qui préexistait, mais dont la forme et l’intensité ne cessent d’évoluer et qui, par sa nature même, comporte un caractère systémique. Il s’agit d’un risque majeur pour notre société. Au début du conflit russo-ukrainien, l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi) alertait sur le renforcement de la menace cyber. Si nous n’avons pas constaté d’attaques cyber majeures à l’occasion de ce conflit, cela ne veut pas dire qu’elles soient devenues moins probables. Aujourd’hui, le risque cyber est complètement protéiforme et se transforme en permanence. Même si la majorité des attaques repose sur l’utilisation de rançongiciels, via de l’hameçonnage à grande échelle, on dénombre également de l’espionnage cyber et des attaques politiques qu’il est difficile d’analyser. C’est une des raisons pour lesquelles France Assureurs soutient la création d’un Observatoire du risque cyber.
Risques : Comment se positionne le marché sur l’assurance cyber ?
Florence Lustman : En 2021 le marché du cyber représentait 219 millions d’euros de cotisations, chiffre à mettre en perspective avec les 8 milliards d’euros de cotisations en assurance de professionnels/entreprises.
Les assureurs sont prêts à jouer leur rôle dans la couverture du risque cyber mais cela suppose que les entreprises soient suffisamment préparées face à ce risque. Or aujourd’hui, notamment dans les TPE et les PME, le degré de préparation et de protection est trop faible pour permettre le développement d’une assurance de masse. Pour faire un parallèle, le niveau de préparation des entreprises équivaudrait en assurance vol à laisser nos habitations portes et fenêtres ouvertes. L’enjeu majeur est donc celui de la prévention. C’est la raison pour laquelle France Assureurs a signé un partenariat avec la Gendarmerie nationale et avec les agents généraux d’assurance, qui mobilise 19 000 personnes sur tout le territoire pour aller au contact des TPE et des PME, leur prodiguer des conseils, les former à ce risque, leur expliquer qu’il faut organiser la sauvegarde de ses données, se doter de pare-feu ou encore utiliser des systèmes de double authentification.
Ce risque est aussi potentiellement un risque systémique – nous avons tous en tête des scénarios catastrophe où le pays pourrait être bloqué durablement. La solution réside alors dans un partenariat public-privé de type cat. nat., ce type de situation ne pouvant être couvert par la seule (ré)assurance privée.

Risques : Quel regard portez-vous sur le sujet de l’assurance face aux chocs macroéconomiques. ?
Florence Lustman : L’assurance est en prise directe avec tous les secteurs économiques. Elle est donc sensible aux chocs macroéconomiques, quand bien même son fonctionnement est par nature contracyclique. Cela étant le secteur est robuste, en témoignent les niveaux de solvabilité actuels avec des ratios de solvabilité de 241 % en assurance vie et de 269 % en non-vie à fin 2021. Ces ratios sont bien supérieurs à l’objectif de 100 % du capital de solvabilité requis (SCR) que les travaux de conception de Solvabilité II avaient fixé.
Mais il est évident que le retour de l’inflation change radicalement la donne en assurance non-vie. Le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, l’a d’ailleurs reconnu dans la conférence de presse que nous avons tenue conjointement en septembre dernier puisque l’inflation se répercute directement sur le coût de la réparation en auto, en habitation, ou en risque industriel.

Risques : Dans ce contexte, que penser de la révision de Solvabilité II ?
Florence Lustman : Différentes propositions ont été mises sur la table, dont une de l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (EIOPA) qui aurait abouti à augmenter encore les niveaux d’exigence de solvabilité. Là, il faut revenir à la genèse du projet. Le passage de Solvabilité I à Solvabilité II avait déjà rehaussé très significativement les exigences prudentielles mais avec un objectif de couverture du SCR à 100 %. Or compte tenu des exigences des superviseurs et de la volatilité du ratio, le taux de couverture du SCR oscille plutôt désormais aux alentours de 200 %, très au-delà de l’objectif initial.
L’enjeu majeur pour l’Europe c’est de lutter contre le réchauffement climatique en adaptant notre modèle productif et économique aux nouvelles conditions climatiques. Pour ce faire, il faut financer des investissements colossaux pour lesquels les assureurs sont incontournables, ce qui nécessite la libération de capital. Selon la Commission européenne, sa proposition pour la révision de Solvabilité II dégagerait 90 milliards d’euros de fonds propres. A l’échelle de l’ensemble du marché européen, cette libération de capital est très faible, d’autant qu’il s’agit d’un relâchement temporaire : elle estime en effet qu’à moyen terme les exigences de capital conduiront à un niveau proche de celui d’aujourd’hui, en fonction des conditions de marché.
Risques : Vous avez dit que le marché français était l’un des plus compétitifs d’Europe, voire du monde. Comment va-t-il évoluer ? Y a-t-il de nouveaux entrants, éventuellement ne venant pas du monde de l’assurance ?
Florence Lustman : La compétitivité du marché français de l’assurance repose sur la diversité de ses acteurs, et notamment sur leur positionnement commercial, leurs modes d’interaction avec les assurés ou encore leurs modèles de gestion des risques. Plus d’une centaine d’assureurs sont présents sur le marché auto, plus d’une centaine en santé. Il y a bien entendu de nouveaux entrants mais il y a de la place pour tout le monde, avec des produits diversifiés pour le consommateur. Le consommateur a le choix, il arbitre, et finalement tout le monde coexiste, et c’est bien ainsi.

