L’assurance paramétrique, une réponse aux défis du changement climatique ?

L’accroissement des températures, de la fréquence et de la sévérité des catastrophes naturelles et anomalies météorologiques, touche les populations et les secteurs économiques de nombreux pays. Les assureurs ont un rôle à jouer pour atténuer les conséquence de ce changement climatique. En particulier, une approche “paramétrique”, également appelée “indicielle” de l’assurance peut apporter des solutions.

L'assurance : quatre rôles face au changement climatique

Dans la revue Risques n°109 (mars 2017), Tanguy Touffut avançait que le secteur de l’assurance a quatre rôles principaux à jouer pour atténuer les conséquences du changement climatique :

  • La compréhension et la prévention des risques climatiques et de ses conséquences sur la fréquence, la répartition géographique et l’intensité des catastrophes naturelles.
  • L’amélioration de l’anticipation des risques, la mise en  œuvre de plan d’action pour les réduire, en un mot la prévention.
  • L’engagement sociétal en faveur de la transition écologique, dûment accompagné d’investissements – étant entendu que les assureurs disposent de gigantesques capacités d’investissement qui peuvent être orientées vers des projets “vert” (greenfin).
  • La couverture des risques climatiques est bien sûr le rôle primordial alloué à l’assurance. C’est ici qu’intervient l’assurance paramétrique.

Qu'est-ce que l'assurance paramétrique ?

Tanguy Touffut (op.cit.) décrit ainsi le fonctionnement de l’assurance paramétrique :

  1. Les pertes de l’assuré sont corrélées à un indice défini à partir de paramètres, par exemple la quantité de pluie en millimètres;
  2. Un montant prédéterminé lui est versé si le seuil de déclenchement est atteint.
  3. Cet indice peut être mesuré par le biais  de stations météorologiques ou, de plus en plus souvent, grâce à des images satellitaires.

Ce processus de déclenchement du versement des prestations est présenté comme innovant, simple à mettre en œuvre (il serait donc “abordable” ou “peu coûteux”) et adapté aussi bien aux entreprises dont l’activité est sensible à la météo, qu’aux populations exposées aux catastrophes climatiques.

Au point que la Commission Européenne préconisait dès 2013 son implémentation : “À la lumière des enseignements et de l’expérience tirés de différentes initiatives régionales ,
l’assurance paramétrique pourrait être considérée comme une solution tant pour le secteur privé que pour le secteur public, par exemple pour les infrastructures publiques critiques. Elle
peut contribuer à rendre l’assurance plus abordable par la réduction des coûts administratifs, car elle ne comporte pas de processus de règlement de sinistre.” livre vert du 16 avril 2013sur les assurances contre les catastrophes(…)

Ainsi le principal avantage de cette technique est que l’indemnité est versée immédiatement. Selon Luc Mayaux (Revue Risques n°91, Indemniser forfaitairement les tempêtes), l’assurance paramétrique ressemble à un forfait, même si les contrats comportent habituellement des clauses permettant à l’assureur de réclamer le remboursement des trop-perçus si l’indemnité excède les pertes subies par l’assuré.

Aspects techniques de l'assurance paramétrique

Globalement les réponses des assureurs aux risques climatiques ont peu évolué. Même s’ils ont investi pour améliorer leur réactivité et numériser certains processus, les reproches de la part des assurés restent les prix, la transparence, le déni de sinistre, les délais d’indemnisation et la pertinence des offres par rapport aux besoins (étude NAIC 2009 citée par Tanguy Touffut) . D’ailleurs en France, la loi  du 28/12/2021 relative à l’indemnisation des catastrophes naturelles a bien pour objet de faciliter les démarches de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, d’améliorer et accélérer l’indemnisation des victimes, tout en renforçant la transparence des procédures.

L’assurance paramétrique répond à cette attente :

  • réduction des délais d’indemnisation : quelques jours voire quelques minutes sont suffisants pour régler un sinistre : dès que les données permettant d’établir le sinistre sont disponibles, l’assureur peut procéder au paiement, il n’y a pas d’expertise ni de contre-expertise
  • transparence des paramètres de l’indemnité : seuils de déclenchement, limites, franchises éventuelles, localisation du risque, fournisseur de données et tiers de confiance etc. tout est stipulé en amont dans le contrat ; le déni de sinistre de la part de l’assureur est donc impossible.
  • réduction des coûts de gestion de sinistre permettant  la diminution des prix (Tanguy Touffut, op. cit.)

Le principe d’équilibre de l’assurance paramétrique ne diffère pas des autres assurances :  à partir de séries statistiques, il est possible de suivre l’évolution d’un risque contre lequel existe une demande d’assurance. Les données disponibles permettent de modéliser ce risque, de définir un risque de base (ex : durée de sécheresse, trajectoire d’un cyclone…) à partir duquel on déterminera l’indemnisation en fonction des valeurs de biens couverts.

L’assurance paramétrique – ou indicielle – repose sur la disponibilité de données issues de sources variées : stations météorologiques, données satellitaires… On peut ainsi utiliser des images satellitaires de parcelles très précises, pour le calcul d’indices (indices de pluviométrie ou de déficit de pluie par zones, indices de fréquence et d’intensité  des ouragans, vérification de la trajectoire d’un ouragan, voire des indices ou séries de données provenant des assurés eux-mêmes si ces séries présentent une objectivité suffisante : de nombreuses coopératives agricoles sont en passe d’offrir ce type de services.

Le “Big Data” présente des opportunités significatives pour l’assurance paramétrique d’autant que l’exploitation de ces données est aujourd’hui optimisée  grâce aux nouvelles capacités de traitement et de programmation. La complexité des données e des technologies à mobiliser (telles que l’intelligence artificielle, la blockchain…) exige de plus en  plus le recours à des  “agents calculateurs”  (voir Figure 1).

Aspects réglementaires de l'assurance paramétrique

La définition admise de l’assurance admise par la Cour de justice européenne est suffisamment  large pour inclure l’assurance paramétrique : “l’opération d’assurance se caractérise par le fait que l’assureur se charge,  moyennant le paiement d’une prime, de procurer à l’assuré, en cas de réalisation du risque couvert, la prestation convenue lors de la conclusion du contrat “. (CJUE, 8 oct 2020 n°C-235/19 §30) : selon Gilbert Parleani (op.cit.) dans l’assurance paramétrique, il y a bien un contrat, le versement d’une prime, un risque assuré, et in fine le versement d’une prestation convenue.

En vertu de ce constat, il n’y pas  d’obstacle à l’obtention d’un agrément pour l’assurance paramétrique ni à l’effectivité de la supervision prudentielle d’un tel assureur ou de son contrôle  au regard des règles destinées à assurer la protection de la clientèle par l’ACPR (en France).

Un des obstacles juridiques à l’assurance paramétrique est le principe indemnitaire. L’article L121-1 du Code des Assurances exige que le principe indemnitaire soit respecté dans les assurances relatives aux biens. En revanche cette obligation ne s’impose pas pour d’autres assurances telles que les assurances de responsabilité ou de personnes.

Pour autant, la question du respect du principe indemnitaire est importante car l’assurance paramétrique cible principalement des assurances de choses, notamment dans le secteur agricole. Mais comme le relève Gilbert Parleani (RGDA, Décembre 2022), les contrats d’assurance paramétrique contiennent habituellement des stipulations selon lesquelles l’indemnisation versée immédiatement n’est que simplement présumée correspondre aux pertes subies par l’assuré, ou en tout cas ne les excède pas. Ces clauses sont très proches des clauses en valeur déclarée ou de valeur agréée, qui sont tout à fait admises.

 

 

Conclusion

En résumé, la question principale que soulève l’assurance paramétrique est celle de l’adéquation entre le dommage et le montant de la prestation,sachant que, par principe, dans cette technique d’assurance les deux événements sont très peu décalés. Ainsi dans certaines situations, l’assurance paramétrique apparaît comme une assurance forfaitaire, car la prestation est établie sans expertise locale et précise ; comme l’observait déjà la Commission Européenne (op.cit.) “le  montant versé à l’assuré peut ne pas correspondre au préjudice subi, sans que les décideurs ne soient toujours à même de l’apprécier”.

Or, G. Parleani (op.cit.) le fait remarquer : si l’assurance paramétrique aboutit au moment de l’indemnisation à un excès d’assurance, il y aura sur-assurance et donc risque de réduction, mais à quel  niveau ?  S’il fallait revenir pour en décider à une expertise, compte tenu des longues difficiles et coûteuses vérification auxquelles se livre un expert,  ce serait la négation de l’assurance paramétrique.

Néanmoins, selon lui, une méfiance exagérée à l’égard de l’assurance paramétrique en vertu du principe indemnitaire n’a pas lieu d’être :

  • La jurisprudence sauve de nombreuses clauses qui ressemblent à des forfaits en les interprétant comme des clauses plafond. Tel est le cas pour les clauses de valeur agréée ou de valeur à neuf.
  • De surcroît, l’assureur peut toujours transiger ou renoncer à ses droits sans que cela ne soit considéré comme une négation du principe indemnitaire d’ordre public, pourvu que cette renonciation soit postérieure au sinistre.
  • Enfin, une solution peut résider dans l’organisation de la déclaration de sinistre par l’assuré en plusieurs étapes successives, ce que prévoient déjà certains contrats (récoltes), permettant à l’assureur d’apprécier à l’avance la probabilité du risque et de comparer aux déclarations finales de l’assuré afin de détecter une éventuelle fraude.

Les solutions réglementaires existent donc. L’assurance paramétrique pourrait être une réponse pour gérer efficacement des sinistres nombreux pour lesquels la rapidité d’indemnisation est un atout majeur. C’est la raison pour laquelle cette technique fait des adeptes dans les pays en développement où les micro-sinistres sont majoritaires.

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