L’Observatoire de l’évolution des métiers de l’assurance a présenté le 16 décembre 2024, lors d’une conférence publique, son étude intitulée “Les métiers de l’assurance au seuil de l’intelligence artificielle“
Morceaux choisis
Les différences avec la vague d’industrialisation des années 2000 dans l’assurance
Depuis plus de 20 ans, l’assurance n’a cessé de travailler à l’optimisation de ses processus productifs. Depuis l’Excellence opérationnelle (OPEX), inspirée du Lean management, jusqu’à la Robotic process automation (RPA) actuellement, les entreprises ont poursuivi leurs objectifs de réduction des coûts et d’augmentation de
la prédictibilité de leurs services .
Si les IA à effet d’automatisation constituent une nouvelle avancée dans cette direction, certains de leurs traits les distinguent des démarches de rationalisation que l’industrie de l’assurance a connues par le passé.
Différence et complémentarité entre RPA et intelligence artificielle (Source : IBM)
“La différence essentielle est que la RPA repose sur les processus, alors que l’IA repose sur les données. Les bots RPA peuvent uniquement suivre les processus définis par un utilisateur final, tandis que les bots IA utilisent l’apprentissage automatique pour identifier des modèles dans les données, surtout dans celles non structurées, et apprennent au fil du temps. En d’autres termes, l’IA est destinée à simuler l’intelligence humaine, tandis que la RPA est uniquement destinée à reproduire des tâches dirigées par l’être humain. Bien que l’utilisation des outils d’intelligence artificielle et la RPA réduisent les interventions humaines, la manière dont ils automatisent les processus est différente.
Pourtant, la RPA et l’IA se complètent bien. L’IA peut aider la RPA à automatiser des tâches de manière plus complète et à traiter des cas d’utilisation plus complexes. En outre, la RPA permet aux informations issues d’une IA d’être traitées plus rapidement au lieu d’attendre des implémentations manuelles”.
Ces IA qui pourraient équiper les postes de travail d’ici à 2035
- La part moins forte qu’anticipée des applications calculatoires
Évaluation des risques, tarification des contrats, estimation des provisions… ces activités calculatoires distinguent l’assurance parmi tous les secteurs économiques. Clé de voûte de notre industrie depuis des décennies, ces travaux n’ont cessé de bénéficier de l’extension des capacités de calcul et des vagues technologiques successives. Aussi, pouvait-on escompter que l’IA concoure à de nouvelles avancées dans ce domaine.
En considérant l’ensemble des IA identifiées, ce n’est pourtant pas cette impression qui domine. Cette apparence de retrait est d’abord la conséquence de l’explosion d’applicatifs d’autres types. Assistants personnels ou outils de traitement des langues font en effet une irruption spectaculaire dans le paysage assurantiel. Cette impression provient sûrement de l’ancienneté des recours à l’IA dans la conception de l’offre ou le pilotage économique et
financier. Dans ces activités investies depuis longtemps par de nombreux algorithmes, les progrès peuvent paraître moins spectaculaires par rapport à d’autres métiers. Au surplus, les règles de prudence et les exigences de l’ACPR cadrent étroitement les initiatives. De même, les dispositions du récent IA Act, induites par l’apparition de l’intelligence artificielle générative, pourraient également contraindre certains usages jusqu’alors non régulés.
- La spectaculaire émergence des IA de traitement des langues
“Le traitement automatique des langues (TAL) a pour objet le traitement informatique de données textuelles, qu’il s’agisse par exemple de textes édités, comme des textes journalistiques, de textes produits par les internautes sur les réseaux sociaux, ou de transcriptions de paroles”. Dans la leçon inaugurale de son cours au Collège de France
(annexe 1), Benoit Sagot distingue quatre domaines principaux du TAL :
![Benoit SAGOT](https://www.crcf-edu.fr/wp-content/uploads/apprendre-les-langues-aux-machines-SAGOT-2023.png)
- Les IA spécialisées dans la vision pour décrypter les documents
Cette catégorie regroupe les IA qui utilisent des procédés pour acquérir, traiter, analyser, “comprendre” des images numériques et en extraire des données afin de produire des informations numériques ou symboliques, par exemple sous forme de décisions.
Au sein de cet ensemble, les IA faisant appel à la lecture de documents sont d’un usage déjà courant dans les sociétés d’assurance. Elles peuvent être parfois couplées à des applications de traitement automatique des langues, par exemple pour détecter un mécontentement dans le courrier d’un client et initier une réponse ; ou encore utiliser la vision pour identifier des faux : factures, attestations…
Dans les deux processus majeurs de la souscription et de l’indemnisation, les usages de l’IA avancés en atelier s’inscrivent dans une logique de complémentarité à l’activité humaine.
Les images des bâtiments à assurer pourraient par exemple renseigner sur l’opportunité d’une visite du risque ou permettre une estimation des coûts en cas de sinistre.
L’image traitée par l’IA peut pareillement assister les choix en matière d’expertise. Sur une partie des sinistres de masse, des assureurs recourent aux prestations de start-up pour établir le montant des dommages à partir d’une photo. Le traitement des images transmises par l’assuré ou par les réparateurs concourt à accélérer le processus, à mieux contrôler les coûts de la réparation, à prévenir les risques de fraude. Dans quelques entreprises, les IA opèrent principalement chez les prestataires, les réparateurs automobiles par exemple, laissant aux experts les dossiers les plus complexes.
Dans le domaine de l’indemnisation, cette automatisation peut-elle conduire à un remplacement plus important de l’homme par la machine ? Hors ou à l’intérieur même des entreprises d’assurance ? En tout cas, pour la plus grande partie des sinistres en automobile ou IRD de particuliers, les participants à l’atelier n’envisagent pas une automatisation de bout en bout sur le modèle de l’assurance paramétrique.
Selon eux, l’IA s’inscrit plutôt dans la poursuite des investissements de rationalisation (Cf. le focus consacré à ce métier dans la troisième partie de l’étude).
- L’industrialisation d’une qualité normée pour détecter les défauts et
anomalies
Les applications de l’IA pourraient contribuer à de nouvelles avancées dans la qualité d’exécution des opérations d’assurance. Pour apprécier les effets de l’IA, il est utile de distinguer la “qualité par la norme” de la “qualité par la pertinence”.
La détection des défauts et anomalies ressort principalement de la “qualité par la norme”. La finalité de ces IA est de signaler des écarts anormaux par rapport à un référentiel, dans des processus aussi variés que le contrôle qualité, la maintenance prédictive, des modèles de comportements suspects… Dans un environnement marqué par l’inflation des normes externes ou internes, il n’est pas un domaine de métiers où la préoccupation de la conformité n’ait pris une place considérable. La liste de l’annexe 2-D illustre la diversité de possibles contributions de l’IA dans ce domaine. Si l’on y retrouve les applications relatives à la fraude, les enjeux de détection et de réduction d’autres défauts et anomalies sont probablement considérables.
- Les systèmes d’aide à la décision, une révolution dans la “qualité par la pertinence”
La qualité ne se réduit toutefois pas aux domaines structurés par une norme. Pour une partie importante des activités, son appréciation ne peut être référée à des standard simples de performance. La qualité par la pertinence ne s’évalue pas sur la base simple et binaire du conforme/pas conforme. Son appréciation fait implicitement appel à une échelle de jugement : inacceptable, insuffisant, passable, correct, satisfaisant, très bon, excellent… Face à cet enjeu, la pertinence ne tient pas dans le fait de faire correctement les choses, mais dans celui de faire les choses utiles et attendues, ce qui est tout autre.
Ainsi, cette approche est toujours préférée dans les opérations nécessitant de s’ajuster à un contexte particulier, à une demande ou un besoin singulier, à des ressources partielles, à des contraintes spécifiques… Tous les métiers identifient des applications qui pourraient assister les collaborateurs dans ces situations complexes. Les IA de traitement des langues, ou celles de prévision et d’aide à la décision fournissent maintes illustrations d’une possible contribution de ce type.
L’étude revient sur ces applications qui “augmentent les salariés” dans sa partie 3.
- L’importance des attentes en matière d’assistants professionnels
Outre le fait que ces IA pourraient être rangées dans l’une des quatre autres catégories, les participants aux ateliers estiment majoritairement que leur déploiement les déchargerait de tâches chronophages et fastidieuses.
La liste de l’annexe 2-A témoigne de la très grande diversité de ces applications.
Les assistants de messagerie, dans le contexte de la relation client, les outils de transcription de réunion ou de synthèse de texte, ou encore ceux d’assistance au codage figurent parmi les applications les plus porteuses.
Les assistants professionnels sont ainsi promis à jouer un rôle majeur dans la diffusion et l’appropriation par chacun de l’intelligence artificielle. N’est-ce pas par ce cheval de Troie qu’IBM, dès 2017 avec Watson, pénétrait en France le secteur de la banque ? (Cf. Baromètre prospectif 2018). Toutes les parties prenantes peuvent en effet espérer y trouver leur compte : les entreprises pour concrétiser des gains de productivité dans des activités de masse et les collaborateurs en libérant du temps pour se consacrer à des activités plus valorisantes.
Trois types d’effets de l’IA sur le travail et la performance
S’inspirant des travaux de Daron Acemoglu, l’étude distingue trois catégories d’effets de l’IA sur le travail et sur la performance : l’automatisation des tâches, l’augmentation des collaborateurs, la génération d’activités nouvelles.
- L’automatisation des tâches
L’automatisation fait référence à l’utilisation de technologies (logiciel, machine…) pour exécuter des tâches jusque-là réalisées ou réalisables par des salariés.
L’intelligence artificielle s’ajoute et se combine éventuellement à d’autres outils ou démarches d’automatisation utilisés couramment, parfois même depuis longtemps dans l’assurance : robotic process automation (RPA), workflow automation systems,
business process management, content management systems, etc. Dans les différentes
catégories d’IA recensées, on peut regrouper celles qui participent de l’automatisation en trois ensembles :
• celles qui transfèrent une charge de travail des collaborateurs à la machine. Le prétraitement des mails par des assistants de messagerie, le tri des CV ou la génération de projets d’annonce de recrutement, la production
de comptes rendus d’entretiens ou de réunions en sont quelques exemples.
• celles qui rendent la réalisation des tâches plus simples ou plus fluides.
Ainsi notamment, la préqualification et l’orientation des appels entrants des assurés, la recherche de documents commerciaux ou techniques, ou encore l’assistance à l’écriture des programmes informatiques.
• celles qui réalisent des tâches qui ne sont pas (ou inégalement) faites aujourd’hui : l’analyse de l’intégralité des enregistrements des entretiens avec les clients, l’exploitation de la partie qualitative des entretiens RH, voire dans certains domaines, une détection des erreurs et anomalies plus systématique
- L’augmentation des collaborateurs
Le terme d’augmentation fait ici référence aux capacités et performances des salariés dans les activités qu’ils effectuent en propre. Cette notion a été introduite par opposition à celle de substitution, lorsque le travail humain est remplacé par la machine. L’augmentation est donc étroitement liée à l’idée d’un supplément d’efficacité, de créativité, de pertinence : amélioration de la prise de décision ou génération des premières versions d’un livrable, développement des compétences, amélioration de la collaboration…
Des travaux de recherche font ainsi référence à des gains qualitatifs de ce type (Cf. annexe 3). Dans ces expérimentations, la performance collective est plus élevée après l’utilisation de l’IA. Toutefois, elle progresse davantage pour les individus dont le niveau initial était le plus faible. Dans un des cas étudiés, cette élévation persiste après même que l’on a retiré aux collaborateurs l’assistance de l’intelligence artificielle.
Dans la liste à la Prévert des applications recensées qui augmentent les collaborateurs, on peut notamment distinguer quatre ensembles.
• Les IA calculatoires qui fournissent une information plus précise ou plus fiables.
Celles qui, par exemple, intègrent davantage de paramètres dans le calcul des provisions mathématiques, prennent en compte de nouveaux critères dans la segmentation des clientèles ou mettent à jour les liens d’interdépendance entre différents facteurs dans des systèmes complexes.
• Les IA qui assistent le conseiller dans le cours de l’interaction avec l’assuré.
A partir de l’analyse en temps réel de la conversation, celles qui préconisent la bonne formule, option, garantie… ou qui éclairent le décryptage des sentiments de la personne située en face.
• Les IA partenaires de la réflexion et de la création dans la génération du premier brouillon d’un texte (note, courrier, communication, etc.), la simulation de différents scénarios d’évolution ou d’organisation, dans le brainstorming, la création ou la mise à l’épreuve de ses idées.
• Les IA de feedback et de développement des compétences tels que celles qui analysent les entretiens d’un conseiller avec ses clients et lui font un retour sur sa performance, sans intervention d’un tiers.
- La génération de nouvelles tâches
Il est plus facile d’identifier les tâches humaines que l’IA pourrait supprimer que celles auxquelles elle pourrait donner naissance. Le propre des créations destructrices est de demander du recul pour prendre la mesure des effets qu’elles génèrent. Nombre de fonctions et d’emplois d’aujourd’hui étaient inconcevables il y a 10 ans à peine.
Ceux qui, après l’industrialisation de ses back offices dans les années 2000, voyaient dans l’assurance une nouvelle sidérurgie n’avaient pas anticipé la conversion et la
création de milliers d’emplois dans le service à la clientèle. On ne saurait toutefois conclure cette revue des effets de l’IA sans chercher de quel côté pourrait venir cette génération de nouvelles tâches (ou un plus fort volume de tâches existantes).
A ce titre, voici quelques exemples pris à travers différents métiers :
• la conception, l’entraînement et la maintenance des IA elles-mêmes (!) ;
• une intensification des activités commerciales “sortantes” ;
• l’instruction des suspicions de fraude détectées par l’intelligence artificielle ;
• la remédiation des anomalies et l’amélioration continue des processus ;
• la rationalisation sur le moyen/long terme de la gestion des immeubles ;
• la diversification/personnalisation des contenus de communication ;
• etc.